Il est généralement admis que le genre tango-chanson est né en 1917 avec « Mi noche triste » : Pascual Contursi a écrit des paroles sur une musique de Samuel Castriota intitulée « Lita », sans l'autorisation de ce dernier, et Carlos Gardel a enregistré le tango en changeant le titre.
Dans sa chronique "Mi noche triste, el tango-canción" du site web Todo Tango, Néstor Pinsón explique:
"Pour la première fois un tango raconte une histoire achevée, avec début, développement et fin. Il est admis qu’il existait auparavant des tangos avec des paroles, mais de structure très simple et différente, où l’on racontait le profil d’un personnage, dans un ton festif la plupart du temps : "La morocha", "Don Juan (Mozos guapos)", "El Porteñito", et ainsi de suite."
Dans son livre “El tango, su historia y evolución”, Horacio Ferrer affirme:
"Le premier tango avec des paroles fut Mi noche triste, versifié par Pascual Contursi...
Il est écrit dans une langue populaire - et non en lunfardo, comme on le dit souvent - et c'est sans précédent connu, un autre clivage radical établi entre les deux traditionnelles "Guardias" du tango : dans la Guardia Vieja il n’y avait effectivement pas de tango chanté qui pût être considéré comme un genre."
et cite Luis A. Sierra…:
"Quand Pascual Contursi apparaît sur la scène du tango, sa structure change fondamentalement. Il fait le pas transcendantal, en modifiant sa ligne primitive de danse canaille. Et quelle est l’influence qui décide de cette transformation ? Le payador. Sans aucun doute, il y a dans Contursi une souche de payador."
Je cite également mon livre "Poésíe de lune et tango", pp. 64-65 (2021 - Ed. Bookelis), ma traduction de l'espagnol "Poesía de luna y tango" (2021 - Ed. Universo de letras - Grupo Planeta):
"… l'évènement marquant qui a fait le succès de la chanson, et en même temps a lancé la carrière de Carlos Gardel comme chanteur de tango, a été précisément que le chanteur légendaire choisisse "Mi noche triste" et l'enregistre. Et par-dessus tout, à cette occasion, Gardel a créé une façon de chanter le tango qui était et reste un modèle inégalé.
….. on peut proposer une définition du tango-chanson sous forme d’ellipse tautologique et quelque peu provocatrice : le tango-chanson est le genre de chansons dans lesquelles les paroles ont une structure, racontent une histoire, communiquent des sentiments, de manière similaire au modèle lancé par Pascual Contursi et Carlos Gardel en 1917 avec "Mi noche triste"."
Après cette brève introduction historique, je me propose de présenter et commenter quelques extraits de ce poème chanté (voir texte complet sur Todo Tango), et je vous suggère d'écouter la magnifique interprétation historique de Carlos Gardel accompagné à la guitare par José Ricardo.
Les extraits sont présentés dans des tableaux : à gauche l'original en espagnol, à droite mon adaptation originale, qui respecte le sens et le rythme, et peut dès lors être chantée.
Dans la première strophe, l'homme introduit le thème en exprimant son chagrin d'avoir été abandonné (me amuraste) par la femme qu'il aimait, avec laquelle il vivait dans sa modeste chambre louée (cotorro) ; chaque recoin et objet lui rappelle des moments d'amour et de bonheur, et la douleur l'a conduit à l'alcool (me encurdelo).
Percanta que me amuraste en lo mejor de mi vida, dejándome el alma herida y espina en el corazón, sabiendo que te quería, que vos eras mi alegría y mi sueño abrasador, para mí ya no hay consuelo y por eso me encurdelo pa'olvidarme de tu amor. | Femme tu m'as laissé tomber Dans le meilleur de ma vie, Me laissant l'âme meurtrie Et une épine dans le cœur, Tu savais que je t'aimais, Que tu étais ma joie de vivre Et mon rêve si ardent, Je n'ai plus d'consolation C'est pour ça que je me soûle Pour oublier ton amour. |
Sa tristesse prend diverses formes touchantes, qui indiquent les sentiments d'un homme très sensible et délicat (rien à voir avec la brutalité d'un supposé voyou, comme le pensent certains !) : il apporte des petits biscuits en souvenir des matés qu'ils buvaient ensemble, et regrette l'absence des petites fioles décorées par la femme :
Ya no hay en el bulín aquellos lindos frasquitos, adornados con moñitos todos de un mismo color. | Il n'y a plus dans la piaule Ces jolies petites fioles Décorées de p'tites faveurs Toutes de la même couleur. |
Dans la dernière strophe, il introduit la métaphore symbolique de la guitare enfermée qui ne sonne plus, et termine par la lampe personnifiée qui ressent l'absence et n'éclaire plus sa triste nuit.
La guitarra en el ropero todavía está colgada: nadie en ella canta nada ni hace sus cuerdas vibrar. Y la lámpara del cuarto también tu ausencia ha sentido porque su luz no ha querido mi noche triste alumbrar. | Et la guitare enfermée Elle est toujours accrochée : Plus personne pour chanter Ni ses cordes faire vibrer. Et la lampe de la chambre A ressenti ton absence Sa lumière n'a pas voulu Ma triste nuit éclairer. |
Autres interprétations :
- Edmundo Rivero / Orchestre de Aníbal Troilo (paroles incomplètes)
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