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Photo du rédacteurLéon LB

BUENOS AIRES - Chronique d'un séjour (Février 2024)



HUIT ANS APRÈS, AVEC UN DOUBLE OBJECTIF

 

Notre premier voyage à Buenos Aires, avec ma compagne Sylvie, a eu lieu début 2016, il y a huit ans.

A l'époque, je savais à peine danser le tango (qu'est-ce que trois petites années pour savoir danser ?), et je n'avais publié aucun livre sur la poésie des textes (mes premières traductions n'étaient que sur mon ordinateur), mais j'avais déjà la passion du tango chevillée au corps.

 

En revanche, cette fois-ci, je suis arrivé avec plus d'expérience dans mon corps de danseur, et surtout après avoir publié trois livres :

 

- Avril 2018 - " Pequeña caminata por la poesía del tango - Petite promenade dans la poésie du tango " : bilingue, une proposition de classement thématique, 24 chansons anthologiques présentées, et traduites en français en respectant le rythme afin de pouvoir chanter dans les deux langues,

- Juillet 2021 - "Poesía de luna y tango" : une classification thématique plus détaillée, un florilège et une anthologie de 68 œuvres présentées et analysées (exégèses),

- Juillet 2021 - "Poésie de lune et tango" : traduction de la précédente, avec la spécificité mentionnée ci-dessus.

 

J'ai également donné une dizaine de conférences et créé mon site bilingue POETANGO (Google " poetango.com "), ce qui m'a donné l'occasion de rencontrer et de communiquer avec d'autres passionnés, intellectuels, artistes, impliqués dans la culture tango, notamment en Espagne et à Buenos Aires.

 

Je dois ajouter un fait qui sera mentionné plus loin (voir le paragraphe éponyme dans le dernier chapitre) : je suis l'organisateur de la milonga parisienne Tango Barge, qui se déroulait depuis 2013 sur un bateau amarré sur la Seine. Malheureusement, un incendie criminel l'a détruit deux semaines avant notre voyage.

 

Je tiens à remercier Polly Ferman (pianiste concertiste de musique latino-américaine et de tango), Daniel Binelli, bandonéoniste et compositeur, et Horacio (Tato) Rébora (organisateur depuis 25 ans du festival culturel de tango de Grenade) qui, depuis l'Espagne, ont valorisé mon travail, et m'ont permis de rencontrer des personnalités de premier plan à Buenos Aires. Un remerciement particulier à Tato pour sa remarquable contribution à mes rencontres lors de ce séjour.

 

Lors de ce voyage, j'avais un double objectif : m'immerger à nouveau dans Buenos Aires et ses milongas, avec une promenade dans Montevideo, rencontrer in situ des personnalités et des amis afin de prolonger et d'approfondir nos échanges sur Internet.

 

Je suis heureux de dire que ces deux objectifs ont été atteints, au-delà de mes espérances.


RENCONTRES REMARQUABLES

 

Les nuits de danse dans les milongas furent denses et intenses, d'amitié et de sentiment.

Les journées, en revanche, ont été beaucoup plus calmes, mais tellement enrichissantes dans le domaine de ma passion et de mes recherches sur la poésie des paroles, ce qui était le deuxième objectif du voyage.

Dans le prolongement de mes échanges antérieurs avec des intellectuels et artistes notables du monde du tango, et grâce aussi au soutien de Horacio Tato Rébora, j'ai pu avoir des rencontres d'un haut niveau culturel, l'amitié et l'affection étant également au rendez-vous. Deux d'entre eux, hommes de radio (La 2x4) m'ont très gentiment invité à leurs émissions.

 

Voici un résumé des rencontres les plus marquantes, dans l'ordre chronologique.

 

OSCAR CONDE (15 & 18 février)

 

Oscar est professeur d'université, membre de la Academia Argentina de Letras, de la Academia Nacional del Tango et de la Academia del Lunfardo.

Je lui avais envoyé un message en 2022 à propos de son article "La poética del tango como representación social" (La poétique du tango comme représentation sociale) sur le site Academia.edu. Nous avons ensuite eu plusieurs échanges sur Internet, et en novembre 2022 je lui ai envoyé un exemplaire de mon livre Poesía de luna y tango, par l'intermédiaire de mon ami Gustavo Bazán, argentin basé à Paris, qui se rendait à Buenos Aires.

Et là, j'ai eu le grand plaisir de concrétiser ces échanges à Buenos Aires !

 

Nous nous sommes rencontrés le 15 février dans un café de Palermo, avec son amie Laura et ma compagne Sylvie, et une excellente relation s'est établie dès le premier instant.

Pour en venir au cœur du sujet, je dirai tout d'abord qu'Oscar est arrivé avec un sac à dos rempli de livres, afin de concrétiser nos échanges sur Internet à propos de mon travail et, plus précisément, de l'importance (ou non) de l'analyse et des commentaires des paroles de tango.

Oscar m'en a confirmé l'utilité évidente, et m'a montré les livres pour affirmer que, bien qu'il y ait eu plusieurs auteurs qui ont présenté les thèmes de la poésie du tango avec une vision transversale, il semble que personne n'ait écrit une anthologie avec une analyse-exégèse pour chaque chanson.

Nous avons également mentionné Françoise Prioul, une éminente universitaire parisienne et chercheuse en tango, qui m'a fait l'honneur et le plaisir d'assister à ma conférence à l'IRCAM (voir la section sur Gabriel Soria, ci-dessous).

 

La semaine suivante, je me suis rendu chez lui avec son "Diccionario etimológico del lunfardo", que j'avais acheté en France, pour qu'il m'écrive une dédicace.

J'ai également apporté un exemplaire de mon livre "Poésie de lune et tango" (ma traduction française du précédent) pour qu'il puisse se faire une idée concrète des traductions des paroles chantables en français. Je lui ai montré et chanté a capella quelques exemples, ce qui, je crois, l'a beaucoup intéressé, et l'a amené à me parler de son amie Denise Sciammarella, qui traduit et chante aussi des tangos en français, me faisnt écouter un peu de son "Madame Ivonne" et, surtout, l'appelant sur le champ pour lui proposer que nous nous rencontrions. C'est ce que nous avons fait le lendemain : voir ci-dessous le paragraphe consacré à Denise.

 

D'autre part, je lui ai parlé du nouveau livre que je suis en train d'écrire, lui ai montré quelques pages et lui ai demandé son avis sur les chances de trouver un éditeur argentin intéressé par ce livre.

Le projet est différent de ce que j'ai écrit jusqu'à présent, un mélange de narration et de paroles de tangos fameux. Il a trouvé cela intéressant, et même le professeur qu'il est a fait de petites observations ou suggestions spontanément, en un clin d'œil !

D'autre part, il m'a expliqué qu'il était difficile en ce moment de publier un livre lié au tango, notamment parce que le fondateur de l'emblématique maison d'édition "El corregidor" est décédé l'année dernière, et que la stratégie des héritiers ne semble pas encore très claire à cet égard.

 

En conclusion, ce fut pour moi une grande satisfaction et une fierté d'avoir pu bénéficier de deux rencontres aussi denses avec un chercheur universitaire de la stature d'Oscar, surchargé, qui partage un aphorisme de Picasso, quelque chose comme "Ils parlent, moi je travaille", et qui a mentionné plus tard, dans un message WhatsApp, "notre passion commune du tango".

 

WALTER ROMERO (16 & 28 février)


Walter a la chaire de Littérature française de la Universidad de Buenos Aires, y de surcroît c'est un remarquable chanteur de tango.

J'ai la chance de connaître Walter depuis plus de 6 ans, lorsque nous nous sommes rencontrés à Paris, lors d'un concert privé qu'il donnait avec le pianiste Federico Mizrahi.

J'ai engagé la conversation et, lorsque je lui ai annoncé que j'écrivais un livre bilingue avec des traductions chantables (le livre de 2018), il s'est montré très intéressé.

Ce fut le début d'échanges sur le web, qui l'ont amené à me faire l'honneur de préfacer mon livre suivant, le plus important, Poesía de luna y tango.

 

Aussi je lui suis très reconnaissant, d'autant plus qu'il avait publié une annonce sur Facebook avec une tonalité très élogieuse. L'année dernière, nous nous sommes revus à Paris.

 

Nos deux rencontres et échanges à Buenos Aires n'ont donc pas été une découverte, mais elles ont permis d'approfondir notre amitié et notre passion commune pour les textes et les chants de tango.

La première a eu lieu dans une pâtisserie française de Palermo où, autour d'un délicieux goûter avec Sylvie, nous avons parlé du tango, mais aussi de bien d'autres sujets, de façon très franche et ouverte.

Nous nous sommes retrouvés le 28 au magnifique restaurant historique El Tropezón, pour un excellent dîner et à nouveau une conversation amicale et profonde.

Mais je n'ai pas pu m'empêcher de lui parler de mon projet de livre et il m'a promis de chercher un contact efficace pour présenter le sujet : je lui ai envoyé un manuscrit partiel à cette fin.

Et, comme le chantait Atahualpa Yupanqui : "Esperemos y esperemos …" ! (Espérons, espérons ...).

 

 

NORBERTO BARLEAND, VANINA TAGINI, ELIANA SOSA (19 février)

 

(de gauche à droite: Vanina, Léon, Eliana, Norberto, Sylvie)


Norberto est un poète argentin de grande notoriété.

Nous nous connaissons depuis l'époque où j'écrivais Poesía de luna y tango, lorsqu'un jour j'ai été touché par un de ses poèmes sur la mère, présenté sur Facebook, à tel point que j'ai osé lui demander la permission d'en citer un extrait dans mon livre, et il a accepté !

C'est ainsi qu'à la page 86 du livre en français, on trouve cette citation :

  

L'absence forgea sa douleur.

Perdue entre les ombres

Le pleur caché, le coin de la grand-mère.

Forts étaient ses cheveux et sa trempe.

Dressée. Puissante.


Nous sommes restés en contact, comme on peut s'en douter, et surtout je lui ai envoyé un exemplaire du livre par l'intermédiaire de son amie Elisabeth Luna Dávila, qui était de passage à Paris.

Ami (Internet) depuis de nombreuses années, j'ai enfin pu le rencontrer dans son pays, et il a eu la gentillesse d'organiser une réunion au "café notable" La Junta de 1810, avec  deux artistes remarquables, Vanina Tagini et Eliana Sosa.

 

Cette dernière est celle que je connaissais le moins. C'est une femme sympathique et charmante, auteure et compositrice, représentante d'un tango moderne, peut-être d'avant-garde. Nous n'avons pas beaucoup parlé parce qu'un empêchement l'a fait arriver en retard, mais ensuite je l'ai réécoutée sur Youtube et j'ai beaucoup aimé en particulier son Bailarines.

 

Quant à Vanina, je la connais depuis novembre 2021, elle a été mon interlocutrice pour l'inscription de mon exposé "Discépolo en la década infame: la trilogía de un rebelde" (Discépolo dans la décennie infâme : la trilogie d'un rebelle) pour le congrès virtuel de l'Academia Nacional del Tango.

 

Lorsque j'ai évoqué mon désir de chanter accompagné d'un bandonéon, elle a suggéré la possibilité de le faire avec Gabriel Merlino, son compagnon. Malheureusement, le décès d'un de ses proches l'a empêché.

En résumé, j'ai pu concrétiser mon amitié avec Vanina et Norberto dans une rencontre en face à face, connaître Eliana de près, et tout s'est déroulé dans une atmosphère de passion, d'amitié et d'affection qui nous a laissé, à Sylvie et à moi, une excellente impression.


 

FRANCISCO TORNÉ (17 février)


Je ne connaissais pas Francisco, et je dois à son ami Tato Rébora la chance de rencontrer cet autre membre de l'Académie. Il n'est rien moins que le petit-fils de Zita, la compagne de Troilo. Il nous a reçus au musée Casa de Gardel où il nous a présenté avec moult détails et explications l'exposition temporaire sur Troilo, une impressionnante collection d'objets, de documents et de photos prêtés par la famille de l'artiste légendaire.

 

J'ai une admiration particulière pour Troilo car, comme je l'ai dit dans l'émission de Diego Rivarola (voir ci-dessous), il était exceptionnel dans les trois dimensions du tango : le bandonéon, la direction d'orchestre, la composition musicale de chansons immortelles telles que Barrio de tango, Che bandoneón, Desencuentro, Garúa, La última curda, Romance de barrio, Sur, Una canción.

 

Francisco m'a invité à prendre une photo avec le bandonéon relique de Troilo, un souvenir symbolique fort. Nous sommes ensuite allés dans un café, où nous avons eu un échange très intéressant avec lui, qui est passionné de tango et actif dans l'académie, malgré d'importantes responsabilités professionnelles qui ne lui laissent pas beaucoup de temps.

 

 

MARCELO ROJAS (18 février)

 

C'est le présentateur de l'émission TANGO DJ sur la radio du tango La 2x4, les week-ends de 1h à 4h du matin, où il passe des tangos pour que les auditeurs puissent danser chez eux.

Je l'avais rencontré à la Tangoteka de Carolina Udoviko, une maison de tango unique et très intéressante près de Tours en France. Marcelo donnait sa conférence sur la musicalisation des bals, je donnais une conférence musicalisée sur la poésie dans les paroles de tango (une des dix depuis février 2019).

 

Il nous reçoit (avec Sylvie) dans son émission du 18 février, à deux heures du matin, après que nous avons dansé à El Beso.

Il m'annonce alors qu'il allait passer les tangos de trois articles de mon site POETANGO.com, et me demande d'expliquer le thème de chaque chanson : Como dos extraños, Alma de bandoneón, Vieja recova.

Je n'avais rien préparé (et je ne connais pas par cœur tout ce que j'ai écrit !), je pensais qu'il s'agissait d'une simple interview, mais je m'en suis pas mal sorti, vous pourrez en juger avec cet EXTRAIT.

 

DIEGO RIVAROLA (25 février)

 

Animateur de la radio de tango "La 2x4", que l'on ne présente plus, il m'a fait l'honneur de m'inviter à son émission "El tango en el mundo" (Le tango dans le monde) le 25 février.

J'étais venu avec un exemplaire de mon livre, que je lui ai offert avec une dédicace, et il a commencé à le feuilleter, manifestement avec beaucoup d'intérêt.

Il m'a posé plusieurs questions sur mon parcours dans le tango, comment la passion m'est venue, comment et en combien de temps j'ai écrit le livre.

 

Il s'est étonné que le livre, autoédité chez Universo de Letras, une filiale du groupe Planeta, ne figure pas dans le catalogue de l'éditeur et soit donc introuvable en Argentine, et m'a demandé ce que l'on pouvait faire pour changer cela. Je lui ai répondu que je n'avais pas cette compétence, mais l'idée m'est venue, et je l'ai exprimée sur le champ que, puisque j'ai tous les droits légaux, je serais ouvert à un projet avec un éditeur argentin. Au moment du départ, il m'a dit qu'il allait discuter de l'affaire avec une amie liée au monde de l'édition.

 

Je vous propose d'écouter un EXTRAIT de l'interview.

 

 

GABRIEL SORIA (28 & 29 février)

 

Gabriel, président de la Academia Nacional del Tango et directeur du musée Gardel, m'a fait le grand honneur de deux rencontres passionnantes : d'abord au musée Casa de Gardel, le lendemain à l'Academia, alors fermée (visite privée, s'il vous plaît !) et, au total, nous avons passé plus de 4 heures en entretiens profonds et passionnés.

 

Visite très intéressante du musée Gardel, dans la maison même du chanteur légendaire, ou plutôt de sa mère Berthe, avec un guide simplement érudit, très chaleureux aussi, au milieu de photos et d'objets émouvants. Nous avons pris plusieurs photos à son initiative, et il m'a même interviewé rapidement, en me filmant (cliquez ICI) !

 

Nous nous sommes ensuite rendus dans son petit bureau au dernier étage. J'avais apporté un exemplaire de mon livre à toutes fins utiles, car je ne savais pas si celui que j'avais remis à Matias Mauricio dix mois plus tôt lui était parvenu (nous avons constaté le lendemain qu'il se trouvait dans une armoire de la bibliothèque de l'Académie).

Bien m'en a pris car, lorsqu'il a commencé à le feuilleter, j'ai tout de suite vu qu'il était intéressé, et la visite de courtoisie s'est transformée en une rencontre tonique et enthousiaste de près de deux heures !

Nous avons bien sûr parlé de la poésie du tango de façon passionnée et profonde (dois-je ajouter qu'il m'a aussi confirmé l'utilité de ce genre de commentaires sur la poésie des paroles), avec plusieurs exemples à l'appui.

J'ai été impressionné par son enthousiasme et son érudition.  Bien que Tato Rébora m'en avait informé, j'ai été surpris et ravi : cet homme récite par cœur, tranquillement, des paroles de tango ! Il vous raconte des anecdotes qui illustrent les contextes historiques de leur création.

 

J'avoue qu'il m'est très difficile de me souvenir en détail d'un échange aussi intense et étendu, mais j'ai plaisir à rappeler ici deux thèmes particuliers : Celedonio Flores ; le phrasé de Gardel et celui du flamenco.

-       Lorsque nous avons évoqué la censure des premières années du péronisme à l'égard du lunfardo et de certains thèmes du tango, et surtout la souffrance de Celedonio Flores d'être obligé de modifier - déformer, âbimer! – ses paroles de tango, Gabriel m'a apporté une précision très importante et très triste que j'ignorais (et qui ne figure donc pas dans mon livre) : ses tangos, ces chefs-d'œuvre, n'ont pas été diffusés à la radio, il n'a donc pas reçu les droits d'auteur de la SADAIC, et il est mort dans la misère !

-       D'autre part, au musée Gardel, nous avons parlé du créateur du genre tango-chanson, avec son phrasé caractéristique, qui a été repris par la suite par plus ou moins tous les interprètes de tango, avec une mention spéciale pour Roberto Goyeneche, qui l'a porté à un niveau singulier.

 

C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup, je l'ai présenté avec des exemples dans ma dernière conférence à IRCAM (Institut français de musique contemporaine, fondé par Pierre Boulez) : position 24'30" de la vidéo.

 

Nous avons évoqué le fait que, si les guitaristes de Gardel jouaient très carré (marcato), lui chantait de manière très continue, comme s'il se promenait, flottait ou naviguait au-dessus des accords. Nous en sommes venus au flamenco (une autre musique populaire que je porte en moi depuis mon enfance à Arcila, un petit village près de Tanger, où vivaient de purs Andalous), et je lui ai indiqué que, sous le chant très étiré et plein de mélismes, les palos du flamenco ont des rythmes très codifiés et rigoureux, qui sont respectés par les cantaores et les cantaoras, les danseurs, accompagnés par les guitares et les battements de mains.

Il s'est montré très intéressé par ce sujet, et a exprimé le désir d'un futur échange :  pourquoi pas, même si je ne suis pas du tout un expert, juste un peu connaisseur, comme je le lui ai dit.

Lorsque nous avons terminé, il m'a très gentiment proposé de visiter l'Académie, que je ne connaissais pas et qui était pourtant fermée. 

C'est là que nous nous sommes retrouvés le lendemain. Il n'est pas inutile de rappeler que cette académie a été créée en 1990 par le grand poète uruguayen-argentin Horacio Ferrer, ami et parolier d'Astor Piazzolla. Ferrer en a été le président jusqu'à sa mort en décembre 2014, Gabriel Soria lui a succédé depuis.

 

Je ne vais pas décrire ici ce que l'on peut voir en visitant ce lieu emblématique et un peu mythique, car c'est en fait aussi un musée du tango.

Ce qui m'a le plus intéressé, outre les nombreuses et émouvantes photos historiques, objets, livres, etc.… c'est une série de tableaux accrochés aux murs, conçus par Ferrer, qui reconstituent l'histoire du tango, sortes d'éléments d'une fresque, avec des photos, des citations. Chaque cadre présente une tranche de temps de 15 ans, qui selon Ferrer était le rythme d'évolution du tango : ici la photo du tableau 1940-1955.

 



 Un autre tableau de Ferrer que je trouve très intéressant est un "Tableau des relations entre styles d'orchestres" (ci-dessous, excusez la qualité de la photo). Je ne sais pas de quel type de relations il s'agit, je ne suis pas du tout compétent pour me prononcer sur la pertinence d'une telle analyse, mais il s'agit manifestement d'un énorme effort de classification qui mériterait d'être discuté, revisité... Mais peut-être cela a-t-il déjà été fait ?



 

En conclusion, cette deuxième visite a été un luxe que Gabriel m'a offert, en tant que président et en tant que guide exceptionnel, deux heures qui ont renforcé ce que j'ose appeler au moins une amitié intellectuelle et artistique qui, je l'espère, se poursuivra. Nous avons déjà évoqué deux ou trois thèmes de collaboration future...

Comme disent les tennismen espagnols : "Vamos !".

 

DENISE SCIAMMARELLA (29 février)

 

Docteur et chercheur en physique, dans le cadre d'une collaboration entre l'Argentine et la France, Denise est directrice du projet Sciammarella Tango, basé sur un orchestre international de tango, elle est chanteuse bilingue (espagnol/français), auteure et compositrice de quelques œuvres, traductrice de textes et chercheuse... rien que ça !



Cliquez ici pour écouter un exemple de son chant bilingue : Madame Ivonne

 

Qui m'aurait dit que je rencontrerais une personne comme elle lors de mon voyage à Buenos Aires ? Comment se fait-il que personne ne me l'ait dit avant et que je ne l'aie pas découverte, sa démarche étant en partie si semblable à la mienne ? Pour paraphraser Atahualpa, je dirais :

"Cómo fue que no la viste, qué suelos andabas mirando?" (Comment as-tu pu ne pas la voir, où avais-tu les yeux ?).

 

Comme je l'ai dit plus haut, le rapprochement a été provoqué par Oscar, et nous nous sommes rencontrés au "café notable" La Poesía, à San Telmo, elle, Sylvie et moi. Je lui montre l'exemplaire en français, qui l'intéresse beaucoup, et nous passons deux heures intenses d'échange et d'amitié. Plus tard, je lui ai envoyé le livre électronique et le pdf par WhatsApp, car je ne pouvais pas lui laisser ce seul exemplaire.

Elle a dû partir parce qu'elle avait une contrainte familiale importante, et avec sa belle spontanéité, a dit "Pourquoi ne nous sommes-nous pas rencontrés plus tôt ?", nous avons répondu que c'était totalement réciproque. Nous avons convenu de continuer à communiquer par Internet, avec l'espoir d'un prochain voyage avec son orchestre à Paris.

  

OLGA BESIO, chez Richard Garrido (30 février)

 

Richard nous a accueillis chez lui avec beaucoup de gentillesse et nous a invités à un asado avec plusieurs amis du tango la veille de notre départ, en guise d'adieu : un grand merci pour son hospitalité et son amitié.


J'ai offert à Richard mon livre en français, qu'il a ensuite présenté à ses amis, j'ai chanté quelques couplets traduits pour illustrer, et un couple a même dansé sur Che bandoneón que j'ai chanté a cappella, en mélangeant les deux langues.


Richard nous présente en particulier Olga, comme son professeur de "musicalité", en l’embrassant avec beaucoup de tendresse, ému aux larmes.

Cela m’inspire aujourd’hui une autre paraphrase :

"Olga, Olga, perdoná si al abrazarte se me pianta un lagrimón"

(Olga, Olga, pardonne-moi si en t'embrassant je laisse couler une larme).

 

On ne présente plus Olga, mais j'aime insister sur ce que j’ai ressenti, en plus de ce que Richard m’avait dit : en un mot, c’est une enseignante profonde et pleine de sagesse.

Aussi, à la fin de la soirée, j’ose lui poser des questions sur des éléments de la danse qui me paraissent - humblement - fondamentaux comme, par exemple, le pivot de l’homme. Les réponses qu'elle m'a données m’ont beaucoup plu, et je regrette de l'avoir connue si tard. Je ne vais pas révéler ici ces clés, parce que je pourrais me tromper, mais je les ai en tête, et j’essaie de les appliquer dans la mesure de mes capacités.

Un salut reconnaissant à Olga, et à Richard une accolade affectueuse, en attendant une prochaine rencontre à Paris.


RÉFLEXIONS AU RETOUR À PARÍS

 

Ici une petite synthèse de quelques thèmes abordés dans ce séjour.

 

Danse : qualité vs quantité 

 

Comme nous le savons tous, il est difficile de bien danser sur les pistes de surpeuplées .

Cependant, la plupart d'entre nous veulent danser autant de tandas que possible dans une soirée, avec autant de partenaires que possible. En effet, on ne peut pas se retenir quand la musique retentit, nous voulons tous danser certains tangos exceptionnels, ou nous avons tout simplement envie de danser avec tel ou telle.

Et ne parlons pas des encuentros ou des marathons, où l'on va danser non-stop pendant des heures et des jours.

Bien sûr, il faut respecter le fait que certaines personnes veuillent danser "mucho, mucho, mucho" (comme dans la chanson "Te quiero dijiste", si bien chantée par Nat King Cole).

J'avoue que je fais partie de ceux qui préfèrent danser moins de tandas, mais avec qualité. C'est plus facile à la fin de la milonga, quand il reste relativement peu de danseurs qui recherchent la même chose, on peut alors s'offrir le luxe de danser quelques tangos inspirés, sans problème de circulation, et avec la musique vraiment en soi.

D'ailleurs, je sais que je ne suis pas le seul à penser ainsi et, par exemple, Rodolfo Ruiz (fils du grand guitariste de tango Rubén Chocho Ruiz), milonguero très expérimenté, ancien professeur de danse, m'a dit lors de ce séjour qu'il préférait danser quatre ou cinq tandas par soir, mais de qualité, et que la quantité ne l'intéressait pas du tout.

Cela dit, il peut arriver, et cela m'est arrivé, que, dansant avec une fille dans une excellente "connexion", on éprouve un réel plaisir, malgré un espace limité. Mais ce n'est pas si fréquent.

 

Poésie des paroles : exégèse ou pas exégèse ?

 

Certaines des rencontres racontées ci-dessus m'ont permis de confirmer l'utilité de l'analyse et du commentaire des grands tangos, au-delà des anecdotes sur les circonstances de leur création.

A vrai dire, je n'en doutais guère, mais, par souci de rigueur, deux faits m'ont amené à m'interroger :

 

- Il m'est arrivé que certaines personnes (peu nombreuses !) me disent qu'il ne serait pas nécessaire d'analyser et de commenter les paroles pour celui qui connaît la langue : ce type d'affirmation a été démenti notamment dans plusieurs des rencontres relatées ci-dessus.

- Ce voyage a confirmé ce que je constatais et qui m'étonnait beaucoup depuis que j'avais commencé à écrire Poesía de luna y tango, quand justement je cherchais des analyses de tangos pour comprendre ou interpréter ce qui ne me paraissait pas très clair : ma démarche et mon travail semblent singuliers (voir plus haut le paragraphe consacré à Oscar Conde).

 

Je ne sais pas pourquoi il en est ainsi, mais j'ai publié un article en espagnol sur le site Academia.edu pour présenter deux critères de la nécessité d'analyser, en donnant 150 exemples pour illustrer ma petite thèse : “Poesía de las letras del tango: ¿exégesis o no exégesis?”

 

On peut en consulter une version réduite, en français, dans ce site :"Poésie des paroles : typologie et exégèse".

 

Au-delà de ce débat quelque peu théorique, ce qui me semble essentiel est la conviction que les exégèses des paroles peuvent beaucoup contribuer à leur diffusion et leur compréhension auprès d'un nombre plus important de personnes, particulièrement les danseurs de tango.

 

 

Comment promouvoir les paroles chez les milongueros ? Au-delà ?

 

Il ne me semble pas inutile de rappeler que dans la danse populaire en général, et dans le tango en particulier, d'abord on danse le rythme. Dans le cas des orchestres de tango, où il n'y a normalement pas de percussions, le rythme est principalement donné par la contrebasse, le piano et même les bandonéons. Ainsi, spontanément, le danseur de tango suit le rythme de ces instruments avec ses jambes, le torse et les bras étant solidaires et beaucoup moins mobiles, consacrés au guidage. Mais les harmonies et les mélodies de ces instruments, auxquelles s'ajoutent celles des violons et de la voix bien sûr, créent une émotion qui est une composante très importante de la danse, à condition de rester dans le rythme !

Certains professeurs proposent dans leurs cours de suivre spécifiquement l'un ou l'autre des instruments. En tant qu'exercice, c'est intéressant, mais je pense que la concentration et l'inspiration du couple de danseurs reposent sur la musique de l'orchestre comme un ensemble cohérent. J'ai d'ailleurs pu confirmer cette opinion lors de ma petite conversation avec Olga Besio, évoquée plus haut.

Je dirais que le cerveau inconscient suit l'ensemble, ce qui n'empêche pas de concentrer son attention sur un instrument, ou sur le chant dans son aspect musical.

 

Mais suivre les paroles, leur signification et les émotions qu'elles véhiculent, demande un autre niveau de concentration et de conscience.

En effet, même pour quelqu'un qui comprend l'espagnol, il n'est pas facile de se concentrer suffisamment dans un contexte de bal pour entendre et comprendre ce que dit la chanson. En revanche, si l'on se renseigne sur les paroles des tangos que l'on préfère - et encore plus si on les connaît - alors, lorsque la musique arrive, la concentration et l'inspiration sont plus profondes.

 

Je vais plus loin dans mon espoir de diffuser la poésie des paroles de tango, car je suis convaincu qu'il doit y avoir beaucoup de gens qui aiment les musiques et la poésie populaires, qui pourraient s'y intéresser et les apprécier... à condition qu'il y ait des actions pour diffuser cette culture (livres, conférences, colloques, etc.).

Dans ce domaine, je ne peux m'empêcher de dire ici ma surprise lorsque je suis entré dans la bibliothèque du Centro Cultural Kirchner (CCK), sur la vitrine de laquelle on peut lire "Ministerio de Cultura Argentina" , et lorsque j'ai demandé s'il y avait des livres sur le tango, on m'a répondu par un "non" sec, comme si ma question était incongrue !

Je n'ignore pas qu'il y a des séances de danse de tango au CCK, mais cela me semble plus orienté vers le tourisme que vers la culture (si je me trompe, n'hésitez pas à me le dire).

 

À la recherche d'un éditeur argentin

 

Comme je l'ai expliqué dans l'émission de Diego Rivarola (voir plus haut), il se trouve que mon livre intéresse quelques artistes et intellectuels du monde du tango, mais qu'il est introuvable dans les librairies de Buenos Aires !

Et ce pour une raison très simple, qui en surprend plus d'un : mon livre a été auto-édité par la l'éditeur espagnol Universo de Letras, filiale du groupe PLANETA, bien implanté en Argentine, mais il ne figure tout simplement pas dans leur catalogue !

 

Comme je possède tous les droits légaux sur mon travail, je suis maintenant ouvert à un échange avec un éditeur argentin qui pourrait être intéressé par la publication de mon livre, dans sa forme actuelle ou avec quelques révisions.

Par ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, je suis également à la recherche d'un éditeur argentin pour mon nouveau livre en cours d'écriture.

 

Milonga Tango Barge

 

Comme le savent les principaux protagonistes de ce récit, j'ai une milonga appelée Tango Barge à Paris. Mais malheureusement, en janvier de cette année, un incendie criminel a détruit le bateau Café Barge où elle se tenait.

Les nombreuses questions qui m'ont été posées et la solidarité touchante que j'ai pu observer m'amènent à donner un peu plus d'informations sur ce sujet, et à raconter son histoire.

J'avais commencé à apprendre la danse en 2013 et, quelques mois plus tard, lors d'un repas de famille, Catherine, la propriétaire du Café Barge, tante de l'épouse d'un de mes fils de l'époque, a lancé : " il paraît que tu apprends à danser le tango " ! J'ai été surpris et presque agacé qu'une information aussi personnelle et sans importance ait été communiquée si rapidement. Puis j'ai rétorqué : "Oui, et tu devrais aussi faire quelque chose au Café Barge !" Elle a répondu : "Chiche !" Et c'est ainsi que l'aventure a commencé : une milonga mensuelle de juillet 2013 à janvier 2024, soit plus de 100 événements, toujours avec une ambiance unique et une bonne vibration " dans le charme de la Seine ".

 

J'ai appris plus tard qu'elle avait accepté également en mémoire de ses parents décédés, qui dansaient le tango. D'ailleurs, le jour de l'inauguration, elle était émue aux larmes.

Quant au nom, il m'est venu très vite, comme un jeu de mots : "Tango Barge".

Une barge est une grosse embarcation que l'on utilisait jadis pour aller d'une rive à l'autre d'un fleuve, Café Barge est (était !) un bateau assez grand et élégant, amarré sur la Seine. Mais "barge" signifie également en argot fou, dingue, d'où le nom de la milonga !

 

Je dois préciser une originalité de cette organisation : étant donné que je suis depuis le début totalement bénévole, l'économie de l'affaire est neutre. Plus précisément, le restaurant perçoit  tout et ne paie rien, à part une petite somme pour le DJ et quelques dîners gratuits. Je ne paie rien et ne perçois rien.

 

Cette histoire a été brutalement interrompue par le terrible incendie évoqué plus haut, et ce fut un choc pour moi, pour les habitués de la milonga, et aussi pour beaucoup de gens, même s'ils ne dansaient pas sur ce bateau. Mais je suis surtout touché, au-delà de la destruction du beau bateau et de notre salle de danse, par l'interruption brutale et dramatique d'une entreprise et d'une équipe : je les salue ici, ces hommes et ces femmes qui aimaient notre ambiance.

J'ai donc eu envie d'écrire (avec l'aide d'un bon musicien) un texte de tango sur la musique de Melodía de arrabal, je l'ai appelé "Tango Barge must go on", avec une partie en français et une partie en espagnol. Voici l'extrait correspondant au refrain de la partie en français :

 

Barge, Barge,

Qui t’a voulu tant de mal

Qui t’empêche de danser ?

Flammes, cendres,

Tous ces abrazos si tendres

On a voulu effacer !

Ma vieille Barge !

Nous reviendrons sur ton quai

Nous allons nous retrouver.

Que, au charme de la Seine,

La passion tango revienne,

A nouveau te faire danser !

 

 

Et maintenant, après la catastrophe, je suis à la recherche d'un restaurant élégant à Paris auquel le modèle d'organisation décrit pourrait convenir.

Par chance, nous avons du temps pour cela car, très généreusement, quelques organisateurs (trices) ont invité Tango Barge à leurs milongas parisiennes.

Je les remercie pour leur solidarité, qui permet à notre milonga de rester active en attendant que nous retrouvions un lieu de qualité.


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