Les deux parties de cet exposé sont extraites de l’article que j’ai publié dans le site web Academia.edu, sous le titre (espagnol) “Poesía de las letras del tango: ¿exégesis o no exégesis?”.
Est reprise pour mémoire dans cette deuxième partie la présentation de la classification à deux critères (on se reportera au premier article pour l'explication complète de la démarche, nécessaire à la bonne compréhension du sujet).
Dans le premier article, les citations de cinq paroliers sont exposées (en maigre ci-dessous). On présente ici celles des sept autres (en gras).
- José González Castillo (1885 - 1937)
- Pascual Contursi (1888 - 1932)
- Celedonio Flores (1896 - 1947)
- Alfredo Le Pera (1900 - 1935)
- Enrique Cadícamo (1900 - 1999)
- Enrique Santos Discépolo (1901 - 1951)
- Cátulo Castillo (1906 - 1975)
- Homero Manzi (1907 - 1951)
- José María Contursi (1911 - 1972)
- Homero Expósito (1918 - 1987)
- Horacio Ferrer (1933 - 2014)
- Eladia Blázquez (1931 - 2005)
Rappel de la typologie proposée pour l'analyse des paroles du tango
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En résumé, il y a donc deux critères pour évaluer la nécessité d'analyse et de commentaire :
- Le Degré Poétique, avec 3 niveaux croissants : D1, D2, D3,
- La difficulté de compréhension, avec 3 niveauxcroissants : C1, C2, C3
Ils se combinent en 9 niveaux de besoin d'exégèse : D1C1, D1C2, D1C3, D2C1, …, D3C1, … D3C3.
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Nota bene - Pour donner une idée de la musique à ceux qui ne les connaissent pas bien (mis à part Carlos Gardel, je choisis souvent ici les interprétations de Roberto Goyeneche, en raison de son talent exceptionnel, mais aussi parce qu'il est l'un des rares à chanter l'intégralité des paroles).
Illustrations de la classification (suite)
(Poètes présentés par ordre de date de naissance, œuvres ordonnées chronologiquement. Les traductions des vers sont pour la plupart celles du livre, faites pour respecter le rythme de la musique).
Enrique Santos Discépolo (1901 - 1951)
¿Qué vachaché? - 1926, paroles et musique (interpret. Tita Merello / Orq?)
" Je n'en peux plus qu'il n'y ait rien à manger / Ni de t'entendre dire autant de conneries. / Tu t'rends pas compte que tu es un paumé ? /" (No puedo más pasarla sin comida / ni oírte así, decir tanta pavada. / ¿No te das cuenta que sos un engrupido? /") : ni métaphore ni difficulté d'interprétation, mais représentatif de la révolte d'une femme contre son homme, qui est hors de la réalité. (D1C1)
" Le véritable amour s'est noyé dans la soupe, / Le ventre est roi et l'argent est Dieu. /" ("El verdadero amor se ahogó en la sopa: / la panza es reina y el dinero Dios. /") : trois métaphores, la première brutale et imagée, la deuxième prosaïque, la troisième blasphématoire. (D3C1)
Yira Yira - 1930, paroles et musique (interpret. Carlos Gardel / Guitarras)
" Lorsque la chance cette salope / Te lâche et te jette, Au bord de la route ; / Quand tu seras dans la dèche, / Sans but et désespéré ; /" ("Cuando la suerte qu'es grela, / fallando y fallando / te largue parao; / cuando estés bien en la vía, / sin rumbo, desesperao /") : Hormis l'explication - essentielle pour ceux qui ne connaissent pas le Lunfardo - de la métaphore "la suerte qu'es grela", tout est clair, mais on peut souligner la puissance descriptive de ces cinq petits vers. (D2C1)
" L’indifférence du monde, / Qui est sourd et muet, / Enfin tu verras. /" ("La indiferencia del mundo / -que es sordo y es mudo- / recién sentirás. / Verás que todo es mentira, / verás que nada es amor, / que al mundo nada le importa.../ ¡Yira!... ¡Yira! /": Ni figure de style, ni difficulté de compréhension, c'est pourtant le message philosophique central, qui doit être commenté. (D1C1)
Cambalache - 1934, letras y música (interpret. Ernesto Fáma / Francisco Canaro)
" Plus d’redoublants, plus d'hiérarchie, / Les immoraux sont nos égaux. /" ("No hay aplazaos, ni escalafón, / los inmorales nos han igualao. /": deux vers simples, directs et sans rhétorique, mais un message moral idiosyncrasique de Discépolo. (D1C1)
" Si l'on vit dans l’imposture, / Si l'on vole par ambition, / Alors qu'importe qu'on soit curé, / Matelassier ou roi de "bastos", / Culotté ou clandestin. /" ("Si uno vive en la impostura / y otro roba en su ambición, / da lo mismo que sea cura, / colchonero, rey de bastos, / caradura o polizón… /") : les deux premiers versets donnent le message moral, les suivants l'illustrent en des termes qui méritent d'être expliqués et commentés(D2C2)
"Mêlés avec Stavisky on a Don Bosco / Et "La Mignón", / Don Chicho et Napoléon, / Carnera et San Martin. /" ("Mezclao con Stavisky va Don Bosco / y "La Mignón”, / Don Chicho y Napoleón, / Carnera y San Martín… /") : références à des personnages de l'actualité ou de l'histoire, certains de mauvaise réputation, d'autres célèbres pour leur courage ou leurs actes, qui ont besoin d'être expliquées et commentées. (D2C3)
" Comme dans la vitrine irrespectueuse / De ces bric-à-brac / La vie s’est emmêlée, / Et blessée par un sabre déglingué / Tu vois pleurer une Bible / Près d’une chaudière. /" (" Igual que en la vidriera irrespetuosa / de los cambalaches / se ha mezclao la vida, / y herida por un sable sin remache / ves llorar la Biblia / junto a un calefón.../") : l'allégorie du bric-à-brac mérite d'être soulignée, et une hypothèse explicative peut être ajoutée à la métaphore de la bible. (D3C2)
Tormenta - 1939, paroles et musique (interpret. Ernesto Fáma / Francisco Canaro)
" Hurlant au milieu des éclairs, / Perdu dans la tempête / De ma nuit interminable, / Dieu ! / Je cherche ton nom… / ("¡Aullando entre relámpagos, / perdido en la tormenta / de mi noche interminable, / ¡Dios! busco tu nombre... /") : métaphores des éclairs et de la tempête, métaphore désespérée de la recherche du nom, impressionnante synthèse du thème dans cette introduction sans difficulté de compréhension. (D3C1)
" Ce que tu m'as enseigné / Ne servirait pas à vivre ? / Je sens bien que ma foi est chancelante, / Car les gens mauvais vivent Dieu ! / Bien mieux que moi… /" ("¿Lo que aprendí de tu mano / no sirve para vivir? / Yo siento que mi fe se tambalea, / que la gente mala, vive / ¡Dios! mejor que yo…/") : ce cri douloureux et clair de son doute, sans figure de style, mérite d'être souligné. (D1C1)
" Montre-moi une fleur qui ait pu naître de l'effort / de te suivre Dieu ! / Pour n'pas haïr / Le monde qui me méprise / Car je ne sais pas voler… /" ("Enseñame una flor / que haya nacido / del esfuerzo de seguirte, / ¡Dios! para no odiar: / al mundo que me desprecia / porque no aprendo a robar.../) : ces vers résument tout, sous une forme rhétorique presque imagée (parabole ?) avec la fleur. (D3C2)
Cafetín de Buenos Aires - 1948, musique de Mariano Mores (interpret. Edmundo Rivero / Aníbal Troilo)
" J’étais tout môme, et je te regardais / Comme ces choses que l'on n'atteint jamais… / Le pif contre la vitre, / Dans le bleu de ce froid, / Le seul qui soit resté, / Semblable au mien… /" ("De chiquilín te miraba de afuera / como a esas cosas que nunca se alcanzan; / La ñata contra el vidrio, / en un azul de frío, / que sólo fue después viviendo, / igual al mío. /") : personnification du café à qui s'adresse le protagoniste, image du petit garçon avec le nez collé à la vitre, mais beauté et mystère des trois derniers vers, et par conséquent interprétation nécessaire. (D3C2)
" Comme une école des choses de la vie / Déjà tout jeune tu m'as fait découvrir / La cigarette, la force des rêves / Mon espérance d’amour. /" ("Cómo olvidarte en esta queja, / cafetín de Buenos Aires, / si sos lo único en la vida / que se pareció a mi vieja. /") : force évocatrice du lieu mythique, sans figure de style, comparé à rien moins que la mère, nécessite un commentaire en relation avec la biographie de l'auteur.(D3C1)
" Entré dans le chagrin, / J’ai noyé mes années / Et me suis rendu sans me battre. /" ("Nací a las penas, / bebí mis años, / y me entregué sin luchar. /" : deux métaphores réussies, qui disent tout du chagrín d'amour quand il mène à l'alcool et à la déchéance. (D2C1)
El choclo - 1948, música de Ángel Villoldo (interpret. Raúl Berón / Aníbal Troilo)
" Avec ce tango qui est moqueur et fanfaron, / L’ambition de mon vieux faubourg prit son envol. / Avec ce tango est né le tango, et comme un cri / Il a quitté le quartier glauque cherchant le ciel. /" ("Con este tango que es burlón y compadrito, / se ató dos alas la ambición de mi suburbio. / Con este tango nació el tango, y como un grito / salió del sórdido barrial buscando el cielo. /") : à l'exception de la métaphore de l'envol (plutôt osée : dans la version originale "s'est attaché deux ailes" !), langage direct et clair pour introduire l'épopée du tango en forme de fable. (D3C2)
" Mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence, / Qui pleure dans l’innocence d'un rythme capricieux. /" ("Mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia, / llorando en la inocencia de un ritmo juguetón. /") : en deux vers puissants et sans rhétorique, il chante la souffrance du peuple en rythme de tango. (D3C1)
" Par son miracle de notes inspirées, / Sont nées sans crier gare gonzesses et greluches / Lune dans les flaques, canyengue dans les hanches, / Élan sauvage dans la manière de se donner… /" ("Por su milagro de notas agoreras, / nacieron sin pensarlo las paicas y las grelas, / luna en los charcos, canyengue en las caderas / y un ansia fiera en la manera de querer... /") : allégorie pour opposer l'énergie amoureuse et sensuelle à la misère symbolisée par la lune dans les flaques, un archétype remarquable qui a été utilisé par plusieurs poètes de tango. (D3C2)
" Et aujourd’hui…ma mère absente… / Je sens qu’elle vient tout doucement pour m’embrasser / Lorsque ton chant / naît dans le son d’un bandonéon. /" ("Hoy que no tengo / más a mi madre… / siento que llega en punta 'e pie para besarme/ cuando tu canto nace al son de un bandoneón. /") : la mère, personnage centrale, bien qu'elle soit norte, revient à la pensé du narrateur avec l'émotion du chant. (D2C1)
" Messe de jupes, de gaz, balafres et couteaux / Brûlant les conventillos et brûlant dans mon cœur. /" ("¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo, / que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón! /") : commenter et expliquer la métaphore religieuse utilisée pour peindre cette société de misère et de violence. (D3C2)
Cátulo Castillo (1906 - 1975)
Caserón de tejas - 1941, musique de Sebastián Piana (interpret. Alberto del Campo / Pedro Laurenz)
" Quand un train si proche / Nous laissait de vieilles, / Étranges nostalgies / Sous la consonance / Douce du rosier ? /" ("¿Cuándo un tren cercano / nos dejaba viejas, / raras añoranzas / bajo la templanza / suave del rosal? /") : Comment interpréter la métaphore de la "tempérance" du rosier (traduite ici par "consonnance", dans une acception d’harmonie de couleurs) ? Que sont les "vieilles, étranges nostalgies" du train ? (D2C3)
" Nous vivrons cette histoire lointaine, / Car dans cette maison de Belgrano, /Vainquant les arcanes / maman nous appelle… /" ("Viviremos el cuento lejano / que en aquel caserón de Belgrano / venciendo al arcano / nos llama mamá... /") : l'évocation de l'au-delà avec l'arcane mérite d'être soulignée, ainsi que l'intensité globale du sentiment transmis. (D2C2)
Tinta roja - 1941, musique de Sebastián Piana (interpret. Goyeneche / Aníbal Troilo)
" Le rempart, / Encre rouge dans le gris du passé… / Ton émoi / De parpaing heureux / Au-dessus de ma ruelle / Peinture bâclée / Du coin de rue. /" ("Paredón, / tinta roja en el gris del ayer... / Tu emoción / de ladrillo feliz / sobre mi callejón / con un borrón / pintó la esquina… /") : belles métaphores du " gris du passé" et du " parpaing heureux ", qui méritent d'être interprétées ; mais au-delà, que signifie l'encre rouge qui a peint le coin de rue ? Est-ce une allusion au sang versé dans les duels au couteau, ou plutôt au sang de la jeune fille qui sera évoqué plus loin ? (D2C3)
" Cette boîte aux lettres carmin / Et ce bistrot / Où pleurait l'Italien / Son blond amour lointain / Qu'il noyait dans le "bon vin". /" ("Y aquel buzón carmín, / y aquel fondín / donde lloraba el tano / su rubio amor lejano / que mojaba con bon vin. /") : analyser et de commenter cette peinture d'un lieu, d'une atmosphère, de la douleur de cet immigré italien, et expliquer "bon vin". (D2C2)
"Où est passé mon quartier ? / Qui a volé mon enfance ? / Dans quel recoin toi ma lune / Tu verses comme alors / Ta claire allégresse ? /" ("¿Dónde estará mi arrabal? / ¿Quién se robó mi niñez? / ? ¿En qué rincón, luna mía, /volcás como entonces / tu clara alegría? /") : plainte de nostalgie du quartier d'enfance, avec la lune qui adoucit la pauvreté, en quatre vers avec une seule métaphore. (D2C1)
" Elle arriva et partit / Après l'carmin / Et l'gris / Bistrot lointain / Où un Italien pleurait / Ses nostalgies de "bon vin". /" ("Por qué llegó y se fue / tras del carmín / y el gris / fondín lejano, / donde lloraba un tano / sus nostalgias de bon vin. /") : force poétique des trois vers qui suivent, avant de revenir à la douleur de cet italien (avec la distance, " l'italien" de la première strophe devient " un italien" dans la dernière). (D2C3)
La última curda - 1956, musique Aníbal Troilo (interpret. Edmundo Rivero / Aníbal Troilo)
" Ta larme au goût de rhum m'emporte / Jusqu'au fond du bas-fond / Où même la boue se révolte. /" ("Tu lágrima de ron me lleva / hasta el hondo bajo fondo / donde el barro se subleva. /") : la métaphore de la "larme au goût de rhum" évoque la douleur de l'amour et de l'alcoolisme. Mais de quel bas-fond s'agit-il ? Que signifie "la boue se révolte" ? (D3C3)
"Raconte-moi ton calvaire, / Explique-moi ta défaite / Vois-tu le chagrín qui me blesse ? /" ("Contame tu condena, / decime tu fracaso, / ¿no ves la pena que me ha herido? /") : personnification du bandonéon, avec lequel le narrateur partage sa douleur d'amour. (D2C1)
"Et parle-moi simplemente / De cet amour absent / Derrière un lambeau de l'oubli. /" ("Y hablame simplemente / de aquel amor ausente / tras un retazo del olvido. /") : impressionnante métaphore du lambeau, qui mérite d'être soulignée pour elle-même, mais aussi pour la puissance évocatrice d'un échec amoureux. (D2C1)
Homero Manzi (1907 - 1951)
Milonga triste - 1936, musique de Sebastián Piana (interpret. Alfredo Zitarrosa / Guitarras)
" Rentré par des chemins blancs / Je n'ai pas pu revenir. / J'ai crié de mon cri long, / Chanté sans savoir chanter. /" ("Volví por caminos blancos, / volví sin poder llegar. / Grité con mi grito largo, / canté sin saber cantar. /") : déclamation impressionnante et triste, n forme de leitmotiv qui sera répété plus loin avec de légères variations. (D3C1)
"Nous avons emporté ton silence / Lorsque les cloches sonnaient. /" ("Y llevamos tu silencio / al sonar de las campanas. /") : sublime métaphore ! (D3C1)
"La lune est tombée dans l'eau / Ma poitrine frappée de peine. /" ("La luna cayó en el agua, / el dolor golpeó mi pecho. /") : la résonnance "lorquienne". (D3C1)
"Silence du cimetière, / Solitude des étoiles. /" ("Silencio del camposanto / Soledad de las estrellas. /") : sentiment et atmosphère en deux vers exceptionnels, presque en rythme de y atmosfera en dos versos excepcionales, casi en ritmo de seguidilla flamenca. (D3C1)
Malena - 1942, música de Lucio Demare (interpret. Francisco Fiorentino / Aníbal Troilo)
" Sa voix porte l'arôme des herbes sauvages / Malena traîne une peine de bandonéon. /" ("A yuyo del suburbio su voz perfuma, / Malena tiene pena de bandoneón. /") : comme un raccourci métaphorique de la vie et la tristesse de cette chanteuse. (D3C2)
" Ta chanson / A le froid de la dernière rencontre / Ta chanson / Sonne amère dans le sel du passé. /" ("Tu canción / tiene el frío del último encuentro / Tu canción / se hace amarga en la sal del recuerdo. /") : Métaphores du froid et du sel, comme un résumé poétique de l'histoire de Malena. (D3C2)
" Tes tangos sont des mômes abandonnés / Qui traversent la boue de la ruelle, / Après que toutes les portes se sont fermées / Et râlent les fantômes de la chanson. /" ("Tus tangos son criaturas abandonadas / que cruzan sobre el barro del callejón / cuando todas las puertas están cerradas / y ladran los fantasmas de la canción. /") : impressionnante allégorie des tangos comparés à des "mômes abandonnés" ... et au passage, on peut souligner qu'ici le tango chante le tango ! (D3C2)
Barrio de tango - 1942, musique de Aníbal Troilo (interpret. Goyeneche / Aníbal Troilo)
"Un fragment de quartier / Là, dans Pompeya / Endormi sur le flanc de ce remblai, /" ("Un pedazo de barrio, allá en Pompeya, / durmiéndose al costado del terraplén, /") : peinture nostalgique du quartier de jeunesse, comme une photo sepia. (D3C1)
"Un lampion qui balance sur la barrière / Le mystère d'adieu que sème le train. /" ("Un farol balanceando en la barrera / y el misterio de adiós que siembra el tren. /") : allusion poétique au train et à son "mystère d'adieu", quelque peu énigmatique. (D2C2)
"Quartier de tango, lune et mystère, / Depuis l'souvenir je te vois encore ! /" ("Barrio de tango, luna y misterio, / ¡desde el recuerdo te vuelvo a ver! /") : la sublime métaphore de souvenir mérite d'être soulignée. (D3C1)
"Y el dramón de la pálida vecina / que ya nunca salió a mirar el tren. /": comentar la alusión a ese personaje de Carriego. (D1C3)
"Et la lune qui patauge dans la boue /"y la luna chapaleando sobre el fango /": terrible et belle métaphore avec les archétypes de la lune et de la boue. (D3C1)
Paisaje - 1943, musique de Sebastián Piana (interpret. Alberto Podestá / Pedro Laurenz)
"Je t’avais acheté, paysage lointain / Le cadre doré, le thème automnal / Je t'ai accroché face à son portrait / Face à son portrait qui a disparu. /" (" Te compré una tarde, paisaje lejano, / el marco dorado y el tema otoñal. / Te colgué en el muro frente a su retrato, / frente a su retrato que ya no está más. /") : une peinture de paysage pour évoquer la femme dont le portrait n'est plus là ( !), sans figures de style, mais une communication presque imagée d'une histoire d'amour. (D2C1)
"Qui a peint, qui a peint, / Qui a peint sur ta toile, / La pinède paisible de l’automne ? / Cette lueur d’oubli, / Ces confins perdus, / Le chemin blessé de bleu / Et la solitude ? /" (¿Quién será, quien será / que en tu tela pintó / la quietud otoñal del pinar? / ¿Y esa luz de olvido, / y el confín perdido, / y el camino herido de azul / y la soledad? /") : Manzi culmine ici, sublime peinture poétique, avec les impressionnantes métaphores des confins et du chemin. (D3C1)
"Nous sommes les mêmes, nos destins les mêmes. / Bruine cotonneuse d’un matin d'automne. / Un nid déserté et un vieux chemin / Et un air d’absence très triste et très gris. /" ("Somos sí lo mismo con igual destino, / garúa borrosa de un día de abril. / Un nido vacío y un viejo camino / y un aire de ausencia muy triste y muy gris. /") : le narrateur continue de projeter son désespoir sur le paysage, avec des images et des métaphores qui traduisent les sentiments de façon imagée. (D3C1)
Sur - 1948, musique de Aníbal Troilo (interpret. Goyeneche / Piazzolla)
"Ta chevelure de fiancée dans ma mémoire / Et ton nom qui flotte dans l'adieu. /" ("Tu melena de novia en el recuerdo / y tu nombre flotando en el adiós. /") : une image et une métaphore audacieuse (malgré la controverse flottant / fleurant) pour évoquer un amour de jeunesse. (D3C1)
"Les rues et toutes les lunes du quartier, / mon amour et ta fenêtre, / Tout est mort, je le sais bien … /" ("Las calles y las lunas suburbanas, / y mi amor y tu ventana / todo ha muerto, ya lo sé… /") : nostalgie douloureuse en trois vers, émotion presque imagée, énigme du pluriel "lunes". (D2C2)
"Nostalgie des choses qui ont disparu, / Sable que la vie a emporté, / Le cœur lourd de quartiers qui ont changé / L'amertume du rêve qui est mort. /" ("Nostalgias de las cosas que han pasado, / arena que la vida se llevó, / pesadumbre de barrios que han cambiado / y amargura del sueño que murió. /") : quatre vers puissants et émouvants où Manzi exprime sa nostalgie, petit mystère de la métaphore du sable. (D3C2)
Che bandoneón - 1950, música de Aníbal Troilo (interpret. Goyeneche / Baffa Berlinghieri)
"Esthercita et Mimi comme Ninon / Voulaient quitter leurs destins de percale, / Vêtirent à la fin des linceuls de rayonne, / À l'écho funéraire de ta chanson. /" ("Esthercita y Mimí, como Ninón, / dejando sus destinos de percal, / vistieron al final mortajas de rayón / al eco funeral de tu canción. /") : expliquer la métaphore de la percale, l'allusion aux héroïnes de la bohème française, souligner la force évocatrice de ce qui n'est rien moins qu'une tragédie en rapport avec la prostitution. (D3C2)
"Bandonéon, / Aujourd'hui c'est nuit de bringue, / Et je peux t'avouer la vérité, / Tant de peines, tant de verres, tant de tangos, / Emballé dans la folie / De l'alcool et l'amertume. /" ("Bandoneón, / hoy es noche de fandango / y puedo confesarte la verdad, / copa a copa, pena a pena, tango a tango, / embalado en la locura / del alcohol y la amargura. /") : aucune figure de style, mais quelle force poétique dans la description de la situation du protagoniste ! (D2C1)
"Bandonéon, / Pourquoi tellement parler d'elle, / Ne vois-tu pas le cœur qui est dans l'oubli, / Elle revient nuit après nuit / Comme une rengaine / Dans les gouttes de tes pleurs, / Che, bandonéon ! /" ("Bandoneón, / ¿para qué nombrarla tanto? / ¿no ves que está de olvido el corazón? / y ella vuelve noche a noche como un canto / en las gotas de tu llanto, / che bandoneón! /") : on comprend maintenant la douleur de cet homme dans le reproche au bandonéon, qui se termine par la belle métaphore "les gouttes de tes pleurs". (D2C1)
"Et la gorgée d'alcool qui fait qu'on se demande / Si l'âme n'est pas "hors jeu" / Che bandonéon. /" ("Y el trago de licor que obliga a recordar / si el alma está en "orsai" / che bandoneón. /") : la métaphore de football, même pour ceux qui connaissent ce vocabulaire, est quelque peu énigmatique et mérite d'être interprétée. (D2C3)
José María Contursi (1911 - 1972)
Gricel - 1942, musique de Mariano Mores (interpret. Goyeneche / Atilio Stampone)
"Ton espoir était cristal / Il s’est brisé à mon départ / " ("Tu ilusión fue de cristal, / se rompió cuando partí. /") : belle métaphore qui fait allusion à la pureté de la jeune fille et à son angoisse ensuite. (D3C1)
"Que vais-je devenir Gricel ? / La loi de Dieu s'est accomplie / Car toutes ses fautes il a payé / Celui qui t'avait blessée. /" ("¿Qué será, Gricel, de mí…? / Se cumplió la ley de Dios/ porque sus culpas ya pagó / quien te hizo tanto daño. /") : on peut commenter le sentiment religieux du narrateur. (D2C1)
Homero Expósito (1918 - 1987)
Absurdo - 1940, musique de Virgilio Expósito (interpret. Goyeneche / Néstor Marconi)
"Portail, où la lune s'est lassée d'attendre, / Verveine par où le temps se parfume et passe ! /" ("¡Portal donde la luna se aburrió esperando, / cedrón por donde el tiempo se perfuma y pasa! /") : Expósito culmine dans son art avec deux figures de style, la première qui peint un lieu et des sentiments sous la lune, la seconde qui transmet un parfum et une distance "philosophique". (D3C1)
"Une valse pleure dans ton piano / Je me prends à penser / Qu'elle pleure d'amour. /" ("Siento un vals en tu piano llorar / y me pongo a pensar / si no llora de amor. /") : personnification de la valse et, au passage, allusion au niveau social de la jeune fille. (D2C1)
"C'était le temps premier / Qui efface les cernes / Et allume la pudeur, /" ("Era la era primera / que apaga la ojera / y enciende el rubor. /") : dans l'original en espagnol las allitérations caractéristiques d'Exposito, mais comment comprend-t-on les cernes et la pudeur ? (D2C2)
Yuyo verde - 1944, musique de Domingo Federico (interpret. Goyeneche / Néstor Marconi)
"Une ruelle, une ruelle / Lointaine, lointaine / Nous allions perdus main dans la main / Sous le ciel d'un été / Nos rêves vains… /" ("Callejón... callejón... / lejano... lejano... / íbamos perdidos de la mano / bajo un cielo de verano / soñando en vano... /") : évocation impressionnante d'un amour de jeunesse, avec presque un oxymore dans le troisième couplet, et l'anticipation triste ensuite. (D3C1)
"Un lampion, … un portail … / -Comme dans un tango- /" ("Un farol... un portón... / -igual que en un tango- /") : exemple parfait du tango qui chante le tango, peut-être ici comme un clin d'œil. (D2C1)
"Laisse-moi pleurer ton souvenir / -nattes qui m'attachent au portail- / De ton pays nul ne revient / Même avec l’herbe verte / Du pardon… /" ("Dejame que llore y te recuerde / -trenzas que me anudan al portón- / De tu país ya no se vuelve / ni con el yuyo verde / del perdón... /") : cri de douleur direct et métaphore des tresses, mais surtout l'évocation de ce "pays" dont on ne revient pas. (D3C3)
"Mais où sont les plumes de mon nid / L’émotion d’avoir vécu / Et cette tendresse ? /" ("¿Dónde están las plumas de mi nido, / la emoción de haber vivido / y aquel cariño?... /") : pure poésie dans cette plainte de nostalgie. (D2C1)
Naranjo en flor - 1944, musique de Virgilio Expósito (interpret. Goyeneche / Atilio Stampone)
"Elle était douce comme l'eau, / Comme l'eau douce, / Plus fraîche que la rivière, / "Naranjo en flor". /" ("Era más blanda que el agua, / que el agua blanda, / era más fresca que el río, / naranjo en flor… /") : comparaison de la jeune fille à l'eau, douce, fraîche, plus la mention de la fleur, peut-être pour suggérer sa jeunesse ? (D3C1)
"D'abord il faut savoir souffrir, / Ensuite aimer, ensuite partir, / Enfin marcher sans une pensée… /" ("Primero hay que saber sufrir, / después amar, después partir / y al fin andar sin pensamientos... /") : chronologie de la souffrance d'amour, mais que veut-il dire dans le dernier vers ? (D3C2)
"Arôme d'oranger en fleurs / Promesses vaines d'un amour / Qui sont parties avec le vent. /" ("Perfume de naranjo en flor, / promesas vanas de un amor / que se escaparon con el viento. /") : justification du titre de la chanson, dans cette expression si poétique du chagrin d'amour. (D2C1)
"Éternelle et vieille jeunesse / Qui m'a laissé si apeuré / Comme un oiseau sans lumière. /" ("Eterna y vieja juventud / que me ha dejado acobardado / como un pájaro sin luz… /") : remarquable oxymore dans le premier vers, avant la comparaison déchirante avec un "oiseau sans lumière". (D3C1)
Trenzas - 1945, musique de Armando Pontier (interpret. Goyeneche / Aníbal Troilo)
"Tresses, / La soie douce de tes tresses, / Lune dans l'ombre de ta peau, / De ton absence. / Tresses qui m'ont noué, / Noué au joug de ton amour, / Le joug presque tendre de ton rire et de ta voix… /" ("Trenzas, / seda dulce de tus trenzas, / luna en sombra de tu piel / y de tu ausencia. / Trenzas que me ataron en el yugo de tu amor, / yugo casi blando de tu risa y de tu voz... /”) : peinture de la femme aimée seulement avec le symbole des tresses et quelques métaphores ; les vers 2 et 3 sont d'une poésie sublime et méritent d'être commentés ; puis vient l'expression de l'attachement amoureux avec la métaphore du joug, suivie de l'oxymore "joug presque doux". (D3C1)
"Fine / Charité de ma routine / J'ai pu rencontrer ton cœur / Au coin d'une rue… /" ("Fina / caridad de mi rutina, / me encontré tu corazón / en una esquina… /") : comment interpréter "fine charité" ? (D2C3)
"Tresses de la couleur du maté amer / Qui adoucirent ma léthargie grise. /" ( "Trenzas de color de mate amargo / que endulzaron mi letargo gris… /") : il compare la couleur des tresses à celle du maté et introduit l'oxymore entre l'amer et le doux, appliqué à la très allusive "léthargie grise". (D2C2)
"Peine, / Vieille angoisse de ma peine, / Phrase détruite de ta voix / Elle qui m'enchaîne… /" ("Pena, / vieja angustia de mi pena, / frase trunca de tu voz / que me encadena... /") : souligner la force de la juxtaposition de l'angoisse et du chagrin, interpréter la très réussie "phrase détruite" (littéralement "phrase tronquée").(D3C1)
Horacio Ferrer (1933 - 2014)
Balada para un loco - 1969, musique de Ástor Piazzolla (interpret. Goyeneche / Piazzolla)
"Quand il f'ra nuit sur ta portègne solitude / J'arriverai par le rivage de ton drap / Et un poème et un trombone / Pour réveiller ton corazón. /" ("Cuando anochezca en tu porteña soledad, / por la ribera de tu sábana vendré / con un poema y un trombón / a desvelarte el corazón. /") : la fantaisie onirique, ainsi que la métaphore du cœur, méritent d'être commentées dans cette déclaration de désir amoureux. (D3C2)
"Sortons voler, ma chérie; / Monte dans mon illusion super-sport, / Et allons courir dans les corniches / Avec une hirondelle dans le moteur ! /" ("Salgamos a volar, querida mía; / subite a mi ilusión súper-sport, / y vamos a correr por las cornisas / ¡con una golondrina en el motor! /") : complètement onirique, peut-être un peu surréaliste, dans ces vers de séduction d'une femme. (D3C1)
"Gravis cette tendresse de fous qui est en moi / Mets-toi cette perruque d'alouettes, et volons ! /" ("Trepate a esta ternura de locos que hay en mí, / ponete esta peluca de alondras, ¡y volá! /") : remarquable métaphore de gravir ("grimper à" dans l'original) la "tendresse de fous". (D3C1)
Eladia Blázquez (1931 - 2005)
El corazón al sur - 1975, letras y música (interpret. Maria Graña y Eladia Blázquez / Guitarras)
"Quartier je me rappelle ton jasmin, / L'ombre de ma mère dans le jardin, /" ("Mi barrio fue una planta de jazmín, / la sombra de mi vieja en el jardín. /" : le souvenir de son quartier parfumé par le jasmin et protégé par l'ombre de la mère. (D3C1)
"Si j’ai dû te quitter un jour / Avec la gorge nouée d'amour, / Mon cœur reste tourné vers toi / Vers toi le sud. /" ("Si desde el día en que me fui / con la emoción y con la cruz, / ¡yo sé que tengo el corazón mirando al sur! /") : souvenir douloureux de son départ du quartier, et profession de foi vers lui. (D2C1)
"Maint'nant je sais que la distance est illusoire / Je te retrouve mon quartier, point cardinal, / Revenant à l'enfance dans ta lumière / Avec mon cœur toujours tourné, vers toi le sud. /" ( "Ahora sé que la distancia no es real / y me descubro en ese punto cardinal, / volviendo a la niñez desde la luz, / teniendo siempre el corazon mirando al sur. /") : sans figure de style, elle résume en quatre vers son sentiment et sa philosophie. (D3C2)
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