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Photo du rédacteurLéon LB

VIEJA RECOVA (La vieille arcade) Histoire d'une déchéance



Tango 1930

Paroles : Enrique Cadícamo Musique : Rodolfo Sciammarella

(mon livre Poésie de lune et tango : p. 451)


Premier enregistrement


Autres interprétations


Une interprétation dansée



Histoire de la rencontre improbable du narrateur, une nuit où il marchait "seul et triste" à travers des arcades ("recova"), avec une vieille mendiante en haillons, dans laquelle il reconnaît une amie de jeunesse, qu'il avait rencontrée quand elle était reine des nuits de cabaret. Rencontre qui le bouleverse, et le conduit à méditer douloureusement sur son passé.

Notons que Enrique Santos Discépolo, deux ans plus tôt, avait écrit "Esta noche me emborracho (Cette nuit je me soûle)" (mon livre Poésie de lune et tango : p. 283), dont le thème est similaire : rencontre du protagoniste avec une femme qui avait été dix ans auparavant une beauté qui l’avait rendu fou d’amour et conduit à un désastre moral et social, et qui aujourd’hui est en totale déchéance, de surcroît grotesque dans son accoutrement voyant.


Cadícamo commence par une petite scène avec une description allégorique assez imagée : le protagoniste, soûl, marche vite à travers des arcades, quand il perçoit sur sa gauche ("du côté du palpitant") quelque chose comme une plainte, insistant pour lui faire pitié : " le fil d'une peine … à me taillader le cœur ".

Il poursuit avec la description tragique de la pauvre femme et fait allusion au dénouement avec l'image de la femme qui cache son "visage honteux", ce qu’il explicitera ensuite dans le refrain.

La otra noche mientras iba caminando como un curda, tranco a tranco, solo y triste, recorriendo el veredón, sentí el filo de una pena que en el lado de la "zurda" se empeñaba traicionera por tajear mi corazón. Entre harapos lamentables una pobre limosnera sollozando su desgracia a mi lado se acercó, y al tirarle unas monedas a la vieja pordiosera vi que el rostro avergonzado con las manos se tapó.

L'autre nuit j'déambulais,

Je marchais comme un pochard,

À grands pas, tout seul et triste,

Je parcourais le trottoir,

Je sentis le fil d'une peine

Du côté du palpitant

Qui s'obstinait furtivement

À me taillader le cœur.

En guenilles pitoyables

Une pauvre mendigote

Sanglotant son infortune

Elle s'est approchée de moi,

En jetant quelques piécettes

À la vieille miséreuse

Je vis son visage honteux

Que de ses mains elle cachait.

De cette scène émouvante, il reste dans sa mémoire l’image du lieu, la "vieille arcade" qui donne son titre à la chanson, et qui le conduit au mot à double sens, bien choisi, "encoignure" : au sens littéral, la mendiante est dans une encoignure de l'arcade, mais ce mot peut se comprendre, au sens figuré, comme une métaphore de l’étroitesse et l’obscurité de sa déchéance !

Plusieurs figures de style pour qualifier le naufrage de la femme : "image fatale", qui peut être comprise comme une affiche de la déchéance ? - la métaphore de la "carta brava", carte "féroce" qui lui a porté malheur - la métaphore du jeu d'osselets ("taba"), où elle n'aurait pas eu de chance ("se le dio vuelta a la taba" : littéralement "l'osselet s'est retourné", traduit ici par "son destin s'est retourné").

Vieja recova,

rinconada de su vida, la encontré vieja y perdida como una muestra fatal. La mala suerte

le jugó una carta brava, se le dio vuelta la taba, la vejez la derrotó. ¡Vieja recova, si vieras cuánto dolor!

La vieille arcade,

encoignure de sa vie,

J'l'ai trouvée vieille et perdue

Comme une image fatale.

Car l'infortune

lui a joué un mauvais tour,

Son destin s'est retourné,

La vieillesse l'a démolie.

La vieille arcade,

Si tu savais quelle douleur !

Puis il revient sur le passé, se rappelle quand elle était jeune et probablement l’une des figures des cabarets ("bringues au champagne"), peut-être un peu mythomane, car elle "brodait des fantaisies avec ses rêves de grandeur".

Mais il a pitié d'elle, pour son destin si noir, que personne ne pouvait imaginer, et il souffre tellement qu’il en prend à témoin l'arcade, et s’éloigne au bord des larmes, de voir que "ce qui hier était grandeur aujourd'hui n'était que ruines".

Yo la he visto cuando moza ir tejiendo fantasías con sus sueños de alto vuelo y sus noches de champán. ¡Pobrecita! quien pensara los finales de sus días y en la trágica limosna vergonzante que hoy le dan. Me alejé, Vieja recova, de su lado, ¡te imaginas, amiguita de otros tiempos, qué dolor llegué a sentir! Lo que ayer fuera grandeza hoy mostraba sólo ruinas, y unas lágrimas porfiadas no las pude desmentir.

Je l'ai vue dans sa jeunesse

Qui brodait des fantaisies

Avec ses rêves de grandeur

Et ses bringues au champagne.

La pauvrette ! Qui aurait cru

À une telle fin de vie,

Et la pathétique aumône

Humiliante qu'on lui donne.

J'n'ai pas pu rester près d'elle,

Vieille arcade, tu imagines,

Une copine d'autrefois,

La douleur que j'ai sentie !

Ce qui hier était grandeur

Aujourd'hui n'était que ruines,

Je n'ai pas pu retenir

Quelques larmes obstinées.




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